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Photo du rédacteurRachel Ferrere

Psychologie du confinement



Le confinement entraîné par la crise sanitaire représente à ce jour ( 9eme jour officiel) pour certains une punition, pour d'autres une bénédiction. Le temps suspend son vol, la gestion de certaines choses est reporté, d'autres sont précipitées, les priorités sont requestionnées, le lâcher-prise peut s'installer ou au contraire les ruminations peuvent envahir. Nous savons que l'exposition à ce ce stress prolongé et à l'anxiété que génère l'enfermement peut entraîner chez certains des syndromes post-traumatiques https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30460-8/fulltext.

En effet, nous ne sommes pas psychologiquement égaux face à cette situation exceptionnelle et nous allons tenter de comprendre pourquoi.


Le confinement est tout d'abord à entendre comme une situation qui réveille des mouvements psychiques infantiles : l'enfermement m'est imposé pour m'empêcher de sévir et pour me protéger. Je suis confrontée à la toute-puissance de l'Etat, figure surmoïque parentale, qui, légitimement, me prive de mes libertés "pour mon bien" car je suis considéré comme irresponsable et vulnérable (et je le suis sûrement). Autant d'éléments qui peuvent raviver des postures infantiles qui vont s'exprimer par des comportements de régression ou encore d'opposition.


L'enfermement c'est aussi devoir réapprendre à habiter un espace clos, à en accepter les limites, à ne pas pouvoir voir au-delà; c'est évoluer dans un microcosme, d'une pièce à l'autre; c'est le piège qui se referme sur moi, menaçant de m'engloutir; c'est au bout d'un certain temps d'isolement ne plus parvenir à considérer le monde extérieur comme réel. Et n'oublions pas l'enfermement temporel: lorsque nous ne savons pas quelle sera la durée de cette privation de liberté, comment se projeter? Accepter que notre temporalité dépende de celle du virus, c'est à dire un élément sur lequel nous n'avons aujourd'hui quasiment aucune maitrise, c'est accepter de mettre sa vie entre parenthèses sans pouvoir refermer soit même la parenthèse...c 'est aussi accepter que le temps puisse se déployer différemment, le restructurer, le modeler, l'habiter enfin et peut-être en devenir maître...en supposant que cela soit possible.


Chez certains, l'enfermement représente la confrontation à l'ennui, au vide et le risque de perdre une partie de leur identité sociale, peut être un risque de dépersonnalisation ponctuel quand le regard de l'autre n'est plus là pour me réinscrire dans mon humanité.


Le confinement dans un contexte de risque mortel peut aussi raviver des traumas psychiques individuels antérieurs où ont été vécus sentiment de mort imminente, enfermement psychique, rupture temporelle entre l'"avant et l'après" : accident, agression, annonce de maladie grave...


Quel sens donné aux comportements de non-respect du confinement? Le refus de l'enfermement peut faire l'objet de nombreuses hypothèses : une tentative d'échapper à l'angoisse de mort, un problème d'intégration de la Loi, un fantasme de toute-puissance, un nouveau comportement de prise de risque? Ou bien juste une impossibilité de se confronter à soi ou à l'autre dans un contexte de promiscuité? Ou encore une manière de reprendre le contrôle pour échapper au contrôle de l'autre ... peut-être par crainte de se faire happer et de disparaître en tant que sujet? Une tentative d'échapper à son propre enfermement psychique? Une impossibilité de trouver ou de prendre sa place et de se responsabiliser dans le collectif? Un problème de sentiment d'appartenance? Le refus ou l'impossibilité de s'identifier aux autres? Un narcissisme exacerbé? Une colère qui prend la forme d'attaque contre le système ( car il faut bien des responsables, n'est-ce pas?) ou le signe d'une insécurité affective et d'une incapacité à faire confiance à l'autre et à sa parole? Ou tout simplement une forme de déni face à la menace bien réelle?



Regardons ce que les sociétés traditionnelles nous apprennent : l'enfermement a longtemps été et est toujours associé à des rituels de passage qui permettent aux enfants de basculer vers un statut d'adulte, cet enfermement représentant une sorte d' "'entre-deux", peut-être un espace transitionnel entre ce que je ne suis plus et ce que je vais devenir, un cocon dans lequel la chenille se transforme en papillon.

"L'Homme se révèle dans les situations limites " disait Karl Jaspers.


Alors, dites-moi, quel Homme voulez-vous devenir?


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3 Comments


Fernand SAINTE-ROSE
Fernand SAINTE-ROSE
Mar 28, 2020

Merci Rachel de cette réflexion. Confinement, ce mot terrible réveille l'angoisse du clos, de l'enfermement. Un autre mot pour dire "prison", ainsi que l'exprime Foucault. Mais confiné chez soi, entre soi, parmi les siens, est-ce un emprisonnement ? Chacun répondra selon son expérience d'habiter avec l'autre. Autrui n'est pas aimable, dit-on. Il faut le conquérir, le séduire, ou négocier avec lui. Le survoler et peut-être l'éviter par mille stratégies. Chacun fuit l'angoisse d'être deux.

Alors être confiné avec autrui, être condamné au bonheur du "vivre alter" reste problématique. Mais le génie humain a inventé la relation. Si relation c'est relater, il y a sans doute un récit à tisser du lien : ce dire, ce langage, ce dialogue qui naî…


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Fernand SAINTE-ROSE
Fernand SAINTE-ROSE
Mar 28, 2020

Merci Rachel de cette réflexion. Confinement, ce mot terrible réveille l'angoisse du clos, de l'enfermement. Un autre mot pour dire "prison", ainsi que l'exprime Foucault. Mais confiné chez soi, entre soi, parmi les siens, est-ce un emprisonnement ? Chacun répondra selon son expérience d'habiter avec l'autre. Autrui n'est pas aimable, dit-on. Il faut le conquérir, le séduire, ou négocier avec lui. Le survoler et peut-être l'éviter par mille stratégies. Chacun fuit l'angoisse d'être deux.

Alors être confiné avec autrui, être condamné au bonheur du "vivre alter" reste problématique. Mais le génie humain a inventé la relation. Si relation c'est relater, il y a sans doute un récit à tisser du lien : ce dire, ce langage, ce dialogue qui naî…


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Michel Quitard
Michel Quitard
Mar 25, 2020

Quel magnifique texte ! Merci Rachel.

A propos de la temporalité, la solution ne serait-elle pas dans l'instant présent ? Ne pas se raccrocher au passé, ce temps où nous étions libres de nous déplacer à notre guise, ni se projeter dans un futur que nous n'avons pas les moyens d'appréhender.

Ma deuxième réaction concerne la peur d'une mort sociale. Ce confinement n'est-il pas l'occasion de nous interroger sur notre vie sociale, et de voir si elle n'est pas juste une béquille. Autrement dit, sommes-nous capables de tenir debout tout seul ?

Encore merci, Rachel, de nous ouvrir l'esprit en ces temps difficiles.

Michel

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